Mais je n'ai pas de double identitĂŠ. De nincs dupla identitĂĄsom.
Mon identitĂŠ est hongroise et je n'ai aucun problème avec le fait d'être juif. Az identitĂĄsom magyar ĂŠs semmi problĂŠmĂĄm nincs azzal, hogy zsidĂł vagyok. Je ne l'ai jamais niĂŠ et mon père me frapperait si je le faisais », affirme Viktor Orban.
"Soha nem is tagadtam ezt, ĂŠs az apĂĄm megĂźtne, ha ezt megtennĂŠm" deklarĂĄlja OrbĂĄn Viktor.


Viktor Orban, l'infrĂŠquentable
Les Echos n° 21104 du 18 Janvier 2012 • page 10
La Commission europĂŠenne a ouvert hier à l'encontre de la Hongrie des procĂŠdures d'infraction et envoyĂŠ à Budapest plusieurs mises en demeure. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, vient s'expliquer aujourd'hui devant le Parlement europĂŠen.

L'Europe tout entière le montre du doigt. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, est devenu infrĂŠquentable. « Orbanistan, », « orbania », « dĂŠmocrature », « archipel du goulash »... Depuis quelques mois, les qualificatifs fleurissent, dans la rue hongroise et la presse internationale, pour dĂŠsigner sa machine à produire des lois qui font sauter les standards europĂŠens en matière de libertĂŠs publiques et politiques, et ĂŠmerger les structures d'un rĂŠgime autoritaire aux accents populistes et nationalistes. Il y a un peu plus de vingt-deux ans, le même Orban, alors frêle jeune homme de vingt-six ans au regard grave, avait pourtant enflammĂŠ la foule de Budapest au nom de la libertĂŠ, lors de la seconde inhumation de Imre Nagy, l'ancien Premier ministre hongrois exĂŠcutĂŠ après l'insurrection de 1956 contre l'occupation soviĂŠtique. A la stupĂŠfaction gĂŠnĂŠrale, ce responsable du petit parti Fidesz (Alliance des jeunes dĂŠmocrates), un concurrent des Jeunesses communistes fondĂŠ un an auparavant, avait exigĂŠ publiquement le dĂŠpart immĂŠdiat des troupes russes et la tenue d'ĂŠlections libres. C'ĂŠtait là le lancement de sa carrière politique, qui fera de lui le plus jeune Premier ministre hongrois en 1998.

Sensible depuis des mois, la fièvre anti-Orban monte aujourd'hui brutalement de plusieurs crans. Elle rĂŠpond à l' « extraordinaire accĂŠlĂŠration du temps politique en Hongrie », explique Antonela Capelle-Pogacean, chargĂŠe de recherches au Ceri-Sciences po : « Certains jours, en dĂŠcembre, les dĂŠputĂŠs ont votĂŠ jusqu'à 16 lois en prolongeant leur session la nuit. » « L'emballement mĂŠdiatique est ĂŠvid e nt », ajoute-t-elle, et l'image du chef du gouvernement se dĂŠgrade à vue d'oeil. Et signe d'exaspĂŠration, la Commission de Bruxelles a envoyĂŠ, hier, du « papier bleu » à Budapest (voir page 9)...

En Hongrie comme à l'ĂŠtranger, on n'en finit plus de dresser la liste des atteintes à la dĂŠmocratie : plus aucune institution indĂŠpendante ne semble en mesure de contrĂ´ler un exĂŠcutif qui a dĂŠsormais directement ou indirectement la main sur toute la vie politique et ĂŠconomique du pays. Et c'est parti pour durer : la nouvelle Constitution en vigueur depuis le 1erjanvier, et dont le terme « RĂŠpublique » a ĂŠtĂŠ purement et simplement rayĂŠ, a mis en place une loi ĂŠlectorale qui assure au Fidesz, le parti de Viktor Orban, les trois quarts des sièges au Parlement... avec seulement 25 % des voix, lui assurant ainsi une sorte de « domination ĂŠternelle ». Le jeune leader progressiste devenu ultra-conservateur a de fait rĂŠussi à injecter dans la Constitution des ĂŠlĂŠments figeant le système.

L'ombre de l'extrême droite
Orban architecte d'une autocratie nĂŠe au coeur même de l'Europe ? Les connaisseurs du terrain suggèrent la prudence. « Parler de dictature n'est pas exempt d'exagĂŠration, même si la situation est grave. Les stĂŠrĂŠotypes culturalistes vis-à-vis d'un Est europĂŠen caractĂŠrisĂŠ par un nationalisme viscĂŠral sont un phĂŠnomène rĂŠcurrent », estime Antonela Capelle-Pogacean. Le Parlement siège, les partis ont une existence lĂŠgale et participent aux ĂŠlections. « La dĂŠmocratie (...) n'est pas seulement une affaire d'institutions. Il n'y a pas de vraie dĂŠmocratie si l'alternance politique est impossible », ĂŠcrivait de son cĂ´tĂŠ rĂŠcemment l'ancien ambassadeur et acadĂŠmicien Jean-Christophe Rufin. Et viser Budapest ne constitue souvent qu'une manière de dĂŠtourner le regard : « L'ombre hongroise plane sur une Union europĂŠenne mal en point en matière d'extrême droite. La crise actuelle reflète des interrogations bien plus larges que le seul cas hongrois », souligne un chercheur. Car elle risque même d'être un exemple...

La crainte des communistes
Comment Viktor Orban peut-il aujourd'hui être accusĂŠ par son opposition de dĂŠtruire la dĂŠmocratie pour laquelle il s'est battu ? Le brillant lycĂŠen de province regardĂŠ de haut par les ĂŠtudiants de Budapest, plus tard ĂŠtudiant à Oxford financĂŠ par une bourse de la Fondation Soros, professant une foi inĂŠbranlable dans la philosophie libĂŠrale anglaise du XVIIesiècle et fin connaisseur de John Locke, docteur en droit qui fit de l'ĂŠconomie de marchĂŠ et de l'Etat social la première plate-forme ĂŠlectorale du Fidesz, ne semblait pas prĂŠparĂŠ à cela. C'ĂŠtait compter sans un parcours singulier compliquĂŠ par une obsession constante : la peur du retour des communistes. « Elle dĂŠtermine toute la politique de cet homme, qui regarde toujours aujourd'hui dans le rĂŠtroviseur », ironise un observateur. Une crainte avivĂŠe par une douloureuse expĂŠrience : le Premier ministre Viktor Orban, dont le mandat avait pourtant ĂŠtĂŠ couronnĂŠ de succès sur le front ĂŠconomique, a ĂŠtĂŠ balayĂŠ en 2002 par les socialistes - ces communistes de l'ancien rĂŠgime prosoviĂŠtique. Un retour de flamme vĂŠcu comme un traumatisme. « Les vestiges de l'ancien rĂŠgime doivent être dĂŠfinitivement balayĂŠs. Il faut tourner la page et renouer avec la longue tradition dĂŠmocratique des Hongrois », explique un de ses proches, Zoltan Kovacs, son ministre chargĂŠ de la Communication. Au fond, le leader hongrois rêverait en fait de reprendre les fils de l'Histoire et de la faire repartir de 1949, au moment où la Hongrie prit le chemin des RĂŠpubliques populaires... Comment sortir du postcommunisme reste d'ailleurs aujourd'hui le problème du pays, estiment nombre d'analystes. « Le rĂŠordonnancement du monde ĂŠconomique et social n'a pas ĂŠtĂŠ une "success story" », rappelle l'un d'eux en forme d'euphĂŠmisme, et la Hongrie est l'un des pays du monde où on a le moins confiance dans l'avenir.

EchaudĂŠ par son ĂŠchec de 2002 et ayant prĂŠparĂŠ sa revanche pendant huit ans d'opposition durant lesquels il les a vus profiter de privatisations opaques, Viktor Orban ne veut pas que les ex-communistes exploitent à nouveau la dĂŠmocratie et les institutions. N'acceptant pas de pouvoir perdre une deuxième fois le pouvoir à leur profit, ce tribun charismatique et très populaire, triomphalement rĂŠĂŠlu Premier ministre en 2010, a choisi d'utiliser tous les outils possibles pour leur barrer dĂŠfinitivement le chemin. A la manière d'un homme de terrain formĂŠ au combat, pour qui tous les moyens sont bons : autoritaire, dur, machiavĂŠlique, ambitieux, brillant, paradoxal, romantique et ne supportant pas les avis diffĂŠrents du sien. « Pour moi, le pouvoir signifie que j'ai une idĂŠe et que je peux la rĂŠaliser. Quand j'ĂŠtais dans l'opposition, dans les annĂŠes 1980, ma vie ĂŠtait remplie de discours, de dĂŠclarations, rien qui puisse avoir un effet. Maintenant, je suis aux affaires et je dĂŠcide des choses », rĂŠsumait-il dĂŠbut 1999, au dĂŠbut de son premier mandat. Amateur de confrontations, il a toujours gardĂŠ un sens innĂŠ de la provocation. Il aime ainsi se dire « le dernier des supporters » de son grand ami Silvio Berlusconi, avec lequel il partage deux points communs : la passion du football - ancien milieu de terrain, lui-même a ĂŠtĂŠ entraĂŽneur d'une ĂŠquipe hongroise de deuxième division -et l'ĂŠdification d'un empire mĂŠdiatique autour de la première chaĂŽne d'information en continu lancĂŠe par son parti. Un homme rouĂŠ qui a plongĂŠ tout jeune dans la politique et un ĂŠtatiste qui aime centraliser, dĂŠcider seul, gouverner en solitaire. Et qui a du « mĂŠtier » : Viktor Orban a l'art de dire aux gens ce qu'ils aiment entendre, et, orfèvre en double sens, tous ses publics, un peu comme dans les horoscopes, peuvent y trouver leur compte, ironise-t-on à Budapest... Sans surprise, le Fidesz rassemble d'ailleurs des militants de tous horizons.

L'homme est à l'ĂŠvidence de droite, et très conservateur. Un positionnement qui n'est pas rĂŠcent. Dès 1993, le postĂŠtudiant ĂŠbouriffĂŠ est passĂŠ au costume-cravate et au cheveu court pour ouvrir le congrès d'un Fidesz devenu parti « conservateur et bourgeois », et dont il allait faire un grand mouvement. La « DĂŠclaration sur l'entente nationale » affichĂŠe sur les bâtiments publics dĂŠcline clairement la devise de la nouvelle Hongrie : « Travail, foyer, famille, santĂŠ et ordre ». Un ultra, dĂŠcidĂŠment, un rien autocratique : « Avec un peu de chance, les quinze annĂŠes à venir ne seront plus caractĂŠrisĂŠes par le combat entre deux forces politiques qui gĂŠnère des querelles triviales », affirmait-il en 2009. « Une force politique centrale est en train de naĂŽtre, et c'est par elle, et non par de constants dĂŠbats, que seront dĂŠfinies les grandes causes nationales. »

Fibre patriotique
En Europe, les critiques ont commencĂŠ tĂ´t et les convictions europĂŠennes du Hongrois en ont pris un coup. « Entre 1998 et 2002, la presse occidentale a dit que je rappelais Hitler et le Duce. Maintenant, on me compare à Poutine et au prĂŠsident biĂŠlorusse. Je vous laisse dĂŠcider s'il y a des progrès ou pas », affirmait-il, mi-vexĂŠ, mi-dĂŠfiant, lors d'une confĂŠrence de presse donnĂŠe dans les salons du Parlement magyar dĂŠbut 2011, à l'ouverture de la prĂŠsidence europĂŠenne de la Hongrie. Viktor Orban prĂŠfère qu'on le compare à un nouvel Ataturk ou, mieux, à un nouveau de Gaulle. « Oui, je suis gaulliste », dĂŠclarait-il rĂŠcemment aux « Echos ». Il souhaite une Hongrie forte et n'hĂŠsite pas à flatter la fibre patriotique de ses concitoyens. Il a ainsi insistĂŠ pour que la nouvelle Constitution reconnaisse le droit de vote des ĂŠtrangers d'origine hongroise habitant les pays voisins. Une dĂŠcision qui soulève la crainte d'une volontĂŠ de restauration des vastes frontières du royaume de Hongrie. Cette accusation, le Premier ministre hongrois et son parti la rejettent en bloc. « Le droit de vote aux Hongrois de l'ĂŠtranger corrige simplement l'injustice faite aux Hongrois en 1920 par le traitĂŠ de Trianon », explique Zoltan Kovacs. Pas question, donc, de faire bouger les frontières et pas question non plus, selon lui, de raviver, au bĂŠnĂŠfice d'un nationalisme outrancier, le racisme et l'antisĂŠmitisme. « L'antisĂŠmitisme est antidĂŠmocratique et inacceptable. Je suis un Hongrois d'origine juive. Mais je n'ai pas de double identitĂŠ. Mon identitĂŠ est hongroise et je n'ai aucun problème avec le fait d'être juif. Je ne l'ai jamais niĂŠ et mon père me frapperait si je le faisais », affirme Viktor Orban.

A quarante-huit ans et un des rares à avoir conservĂŠ depuis la chute du mur de Berlin un rĂ´le de premier plan sur la scène politique de son pays, le leader hongrois a le temps devant lui. Mais la centaine de milliers de manifestants qui ont dĂŠfilĂŠ le 2 janvier dans les rues de Budapest sonnent comme un rappel à l'ordre. Viktor Orban sait que, pour faire barrage aux sirènes du parti d'extrême droite Jobbik, il doit prendre à bras-le-corps les classes moyennes qui ont votĂŠ pour lui afin qu'il amĂŠliore leur niveau de vie et que, dans un pays surendettĂŠ, il joue son avenir sur l'ĂŠconomie. Il apparaĂŽt certain qu'il ne pourra pas se passer de l'aide financière extĂŠrieure. Un exercice difficile pour un tenant du primat du politique... national.

Daniel Bastien et Massimo Prandi